La mort des vignes
Malheureusement, après la crise de l’oïdium en 1845-1850, le
phylloxera, l’Attila des pucerons, originaire des Amériques, apparaît en
1875, introduit par des plants de vignes importés par bateau, progressant à
une vitesse vertigineuse (20 Km par an).
Les premières taches
firent leur apparition dans le Fief de la Brosse entre Limouillas et Treillebois.
Au départ, on attribuait cette grande tache jaune, à un coup d’orage. En
1881, cependant, la récolte avait été excellente, mais la maladie gagna
rapidement du terrain. Le domaine est totalement infesté. La surface régresse
de 4100 hectares à 294 hectares en 1904. Ce mal, qui s’attaque aux racines
des ceps, causa des dégâts dans tous les vignobles de France. Les conséquences
humaines et économiques furent considérables. Le prix de la terre baissa dans
des proportions énormes : De 5000 francs l’hectare de vigne à LA
FOYE-MONJAULT en 1879, il passe à 500 francs en 1884. Les viticulteurs ruinés
partent : BEAUVOIR perd, en un quart de siècle, 22% de sa population (Le
canton perd 1333 habitants).
Des tentatives de replantation, avec des cépages américains, ne furent
guère encourageantes en Poitou. En effet, les traitements chimiques, consistant
à injecter du sulfure de carbone dans le sol, ne suffirent pas à enrayer le
mal, les plants américains résistant au parasite ne s’accommodèrent pas des
sols de la région. Ce n’est qu’en 1890 que la solution est trouvée :
Greffer des plants français sur les ceps américains. Dès lors la
reconstitution est possible là où les propriétaires ont encore les moyens
d’investir. Ailleurs, comme dans notre région, on évitera désormais les
risques d’une quasi monoculture en diversifiant la production. La surface
replantée en vigne dans notre département resta dérisoire par rapport à ce
qu’il était avant la crise.
Ce déclin se trouva légèrement compensé par l’arrivée d’éleveurs
vendéens, qui trouvèrent là de terres à un prix dérisoire. Cette mutation de
population, ainsi que la naissance et le développement des laiteries-coopératives,
permet une transformation radicale de l’économie de cette région : Désormais,
le lait remplace le vin.
Je vous invite vivement à lire le livre de Maxime ARNAUD
Maxime
ARNAUD est né le 18 avril 1875 et est décédé le 8 novembre 1961
C'est le grand père de Marcel ARNAUD, agriculteur habitant à la Maison
Neuve dans la commune de La Rochenard
« Souvenirs d’un vieux paysan » et sous titré " De la chandelle de résine à l'ampoule électrique" .... si vous arrivez à le trouver
Dans son livre Maxime ARNAUD décrit la vie quotidienne à partir de 1875
dans les villages de LA FOYE MONJAULT et de LA ROCHENARD.
Ce livre n'est
plus disponible depuis bien longtemps, mais bon nombre de ses acquéreurs ont précieusement conservé leur
édition. Il suffit donc de chercher un peu
En voici quelques extraits mettant en relief le changement de
la vie dans ces deux villages de 1875 à la fin des vignes à la suite de
l’apparition du phylloxera :
« En 1875, à part quelques petits bosquets de bois, il n’y
avait que des vignes plantées, en général, à 1,10 m sur le rang et 1 m sur
l’autre sens. Les superficies étaient désignées par « rande »
et « quartier ». La rande était de 80 ceps et le quartier était de
80 randes, ce qui équivalait à peu près à l’are et l’hectare.
La population était nombreuse, il y avait beaucoup
de domestiques, la culture se faisait au pic, instrument plat à double crochet ;
c’était le seul outil connu pour labourer la vigne. Un bon vigneron pouvait
labourer dans sa journée 6 à 8 ares de terre. La vigne avait trois façons :
La levure, ou premier labour, qui se pratiquait de janvier à avril ;
l’abatage de fin mai à juin ; le binage de juin à août ; la
taille qui se faisait en févier-mars.
C’était le temps où l’on disait que l’on ne
sonnerait jamais de glas de vigne, que l’on ne verrait jamais les voitures
rouler sans chevaux, que l’on ne verrait jamais les hommes voler dans les
airs.
Dans cette immense étendue de vignes, il y avait des
arbres : Noyers, cerisiers, pêchers,
quelques rares pommiers, de grands cerisiers sauvages appelés « courants »
qui, venus à une certaine taille, étaient abattus et fendus pour faire des
cercles de cuves. Les chemins, au milieu des vignes, avaient quatre mètres de
large. De distance en distance, il y avait des retraits pour garer les
charrettes au moment des vendanges ou déposer le fumier avant sa rentrée dans
les vignes qui se faisait au moyen de civières, brouettes et même de hottes.
Dans les pièces de vignes d’une certaine étendue,
il y avait de petites maisonnettes ou cantines où les vignerons se
rassemblaient pour prendre leurs repas. Chaque cantine avait son cadran solaire,
car guère de vignerons n’avaient de montre.
Au village, la vie était tranquille ; tous les
hommes étant dans les vignes, les femmes s’occupaient du ménage, faisaient
le pain car beaucoup de maisons avaient leur four. A part quelques moutons,
quelques poules, des lapins, un cochon et un cheval, mais pas dans toutes les
maisons, il n’y avait ni bœufs, ni vaches.
En dehors des vignerons qui, presque tous,
connaissaient la tonnellerie, il y avait les tonneliers de métier, les maréchaux,
les maçons, les charrons, les menuisiers, les scieurs de long, les cordonniers,
les sabotiers, les tisserands, ces trois derniers métiers à peu près
disparus.
A époque à peu près fixe et tous les ans, il
passait des savetiers d’Auvergne qui réparaient les chaussures au coin des
rues et avaient toutes leurs fournitures dans une hotte qu’ils portaient sur
le dos. Les étameurs-rémouleurs, qui venaient du Cantal, les colporteuses et
colporteurs, qui avaient leurs marchandises dans des boites qu’ils portaient
sur le dos, venant du département de l’Ariège en général. Tout cela a
disparu.
Tous les vins de nos région se vendaient en Gâtine.
Beaucoup de vins se transportaient là bas par charrettes. La plupart des
transactions se faisaient à Niort où les rouliers de chez nous menaient le vin
et les rouliers de Gâtine venaient le chercher. Le transbordement se faisait en
général place Saint Jean, place du Roulage, place Strasbourg, route de Paris,
place des Douves. Autour de ces différentes places, des auberges logeaient bêtes
et gens. Les rouliers ne revenaient jamais à vide. Ceux de Gâtine ramenaient
des fûts vides et des cercles de châtaigniers pour la réparation des
futailles, car toutes étaient cerclées en bois.
Pour la fumure des vignes, le fumier était fourni
par le Marais ; il était amené par bateau dans les ports du Vanneau,
Irleau, La Garette, Magné. Comme la distance variait de 15 à 18 kilomètres,
il fallait partir de bonne heure le matin ; il n’était pas rare de voir
partir 15 ou 20 charrettes les unes à la suite des autres. Le soir, pour
revenir chargé, il fallait se relayer pour monter les côtes. Il fallait aller
décharger le fumier dans les vignes et, le lendemain, bien avant le lever du
soleil, il fallait repartir. Le Marais fournissait aussi du foin pour les
chevaux, foin et fumier s’échangeaient pour du vin ou de la boisson.
Le travail était pénible, mais le pays était prospère ;
les familles s’entendaient bien, les étrangers domestiques, gens de Gâtine
et du Marais apportaient, au moment des vendanges et des foires, la joie et la
gaieté qui n’existent plus aujourd’hui. Les foires de La Foye, qui duraient
plusieurs jours, pour la Pentecôte et le 25 octobre, attiraient une affluence
comparable aux foires de mai à Niort. C’était le grand marché aux vins de
la région de Saintonge.
Cette prospérité ne devait pas durer. En 1878, la
première tâche de phylloxéra fit son apparition dans la région de La Foye,
dans le fief de La Brousse, entre Limouillas et Treille-Bois, dans une vigne
appartenant à Arnaud Jacques, brigadier, dit Jacquet l’Ami. Personne ne
voulait croire au phylloxéra et beaucoup attribuaient cette grande tâche jaune
à un coup d’orage. L’année suivante, la tâche s’élargit et d’autres
tâches apparurent dans les vignes voisines.
En 1881, il y eut une bonne récolte en qualité et
en quantité. Les gens persistaient à
dire que l’on n’avait jamais vu sonner de glas de vigne, que cette maladie
ne serait que passagère. Les jeunes continuaient à s’outiller en matériel
de chai et beaucoup empruntaient de l’argent pour le faire.
Les années 1882-1883 furent médiocres. Malgré
l’espoir, la maladie s’accentuait, les gens commençaient à semer du blé
dans les parties premièrement atteintes. En 1884, favorisée par un beau temps,
la récolte fut bonne en qualité, mais la quantité fut faible. Ce fut la dernière
récolte qui compta. En 1886, il n’y avait plus de vignes de rapport, ce fut
la fin du vignoble de toute la région.
La
misère qui menaçait depuis plusieurs années éclata ; les gens se trouvèrent
des vignes sans rapport et, comme outillage, un pic ; le blé,
cultivé à travers des souches mortes, ne rapportait guère, les meuniers
avaient de mauvais clients, n’ayant plus de javelles pour chauffer les fours ;
la question bois vint s’ajouter aux autres.
La grande désertion commença ; les domestiques partirent ;
beaucoup de jeunes gens qui étaient au régiment y restèrent. Ceux qui avaient
emprunté de l’argent pour acheter du matériel de chai laissèrent la propriété
pour les dettes et partirent. La valeur de la terre était descendue à 100
francs l’hectare. Ce qui avait été des vignes florissantes n’était plus
qu’une grande étendue inculte avec des souches mortes. Quel tableau !
Et, cependant, il fallait réagir. Quelques jeunes, travailleurs et
hardis, mirent carrément la pioche dans les vignes et firent faire des
charrues, mal vus de certains vieux vignerons qui espéraient toujours et qui dépensaient
leurs modestes économies pour faire la misère. Tous les maréchaux devinrent
fabricants de charrues, les gens qui savaient travailler le bois faisaient la
perche et l’avant-train, les maréchaux faisaient les socs et les ferrures ;
il n’y avait pas de machines à ce temps-là ; tout le travail se faisait
à la main.
Les premiers labours à la charrue se
firent à sillons : C’était plus facile de couper le blé à la
faucille. Le pays se peupla de moutons qui allaient paître dans les chaumes ;
c’était le seul produit.
Les gens étaient malheureux ; ne
voulant pas boire d’eau, ils firent de la boisson avec toutes sortes de choses :
Prunes, sorgho, maïs, carottes, betteraves, prunelles, mûres. L’eau aurait
été plus saine, mais les vignerons en avaient horreur. Nous, les enfants, nous
allions à l’école. Un morceau de pain, la moitié d’un œuf, deux ou trois
noix, voilà notre déjeuner ; la mise au pain sec ne nous touchait guère.
Peu à peu, il se fit des prairies
artificielles, et les premières luzernes vinrent de toute beauté. Après
l’arrachage des vignes, les premières vaches apparurent, mais la plupart
devenaient goutteuses. Il a fallu l’emploi des superphosphates pour enrayer la
maladie. Les premiers engrais qui furent employés sur les blés furent les
tourteaux de colza à la dose de 1000 kilos à l’hectare. On allait les
chercher à Niort, rue de l’Huilerie.
Les vignes finirent par s’arracher
et, au fur et à mesure que la culture augmentait, les moutons diminuaient pour
faire place aux vaches. Pour tirer profit des vaches, il fallait faire du beurre ;
pour faire le beurre, il fallait s’outiller, acheter des pots de terre pour y
mettre le lait afin de faire monter la crème, et de grandes casseroles en grés
pour la brasser. Quel travail ! Beaucoup firent modifier les foyers de façon
à faire un four pour réchauffer
la crème l’hiver ; l’été, il fallait la descendre dans les puits ou
les citernes pour la rafraîchir. Que de temps il fallait brasser pour
transformer cette crème en beurre, que, bien souvent, il fallait colorer avec
du jus de carottes râpées pour lui donner une plus belle couleur et le vendre
au marchand à 0,80 franc le kilo ; il fallait 24 ou 25 litres de lait pour
faire un kilo de beurre.
Pendant que la culture se modifiait
dans la plaine, il fallait aussi modifier les habitations. Tout le matériel du
chai : Cuves, barriques, treuils … fut détruit et en partie brûlé pour
transformer les chais en écuries afin d’y loger les vaches, le pays n’ayant
d’eau que dans les puits variant de 25 à 30 mètres de profondeur , les
municipalités eurent à charge de faire creuser des mares pour faire des
abreuvoirs. »